Dans une cuisine où la qualité d’un repas commence par la découpe des ingrédients, les cuisiniers ont su s’entourer des outils de la meilleure qualité. Si les couteaux japonais sont si exceptionnels, c’est qu’ils sont les dignes descendants des sabres japonais, les armes blanches les plus tranchantes qui soient.

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FABRICATION

Deux raisons fondamentales justifient ce tranchant incomparable.

LA QUALITÉ DE L’ACIER

Première différence fondamentale entre la coutellerie du vieux continent et l’archipel : l’alliage utilisé. L’acier c’est du fer et du carbone, or le fer ça n’existe pas tel quel dans la nature. Pendant que les européens allaient puiser leur fer dans les roches minérales, les japonais l’obtenaient à partir d’un sable ferritique présentant considérablement peu d’impuretés. Un acier d’une telle qualité est dur et permet d’obtenir un fil très fin, donc très tranchant.

Cet acier est appelé Shiroko (白鋼 ) ou « acier blanc ». Quant on y ajoute du Tungstène, il gagne encore en résistance et s’appelle alors Aoko (青鋼) ou « acier bleu ».

LE SAVOIR-FAIRE

Seconde différence, les japonais ont su résister aux sirènes de l’industrialisation : un véritable couteau japonais est forgé à la main et non moulé par une machine. Le façonnage de la lame est le résultat d’une multitudes de gestes experts que la production de masse ne saurait reproduire, depuis la mise en forme de la matière première jusqu’à l’affûtage final.

Bien entretenu, c’est le genre d’objet que vous garderez toute une vie. Niveau prix, voyez-le comme un investissement. Aucune limite de quantité en soute, vous n’avez même pas besoin de le signaler à l’embarquement (contrairement à un katana).

Prix d’un couteau : Entre 50 et 300€.

CHOISIR SON COUTEAU

Rien ne sert d’avoir les tiroirs qui débordent : il suffit parfois d’un seul bon couteau pour révolutionner son approche de la cuisine.

UTILISATION

Les lames sont de tailles différentes, asymétriques ou symétriques. Les lames asymétriques pourront être utilisées par les gauchers contrairement aux lames symétriques. Plutôt que de vous faire un exposé sur les différentes sortes de couteaux, voici des recommandations par types d’aliments. Vous pourrez donc faire votre choix en fonction de vos habitudes alimentaires.

Légumes et fruits
Pour les petits légumes et les condiments, tournez-vous vers des couteaux pointus du type Shotoh ou Petty, qui sont parfaits pour peler et découper. Le Santoku est l’éminceur par excellence. Pour trancher, un Nakiri (ou Usuba) sera plus pratique avec sa forme de hachoir. Ce couteau est également conçu pour le katsura-muki qui consiste à couper un légume ou un fruit en un seul long ruban. Enfin, les gros légumes comme les courges nécessiteront un couteau avec une lame plus longue et plus large tel que le Gyuto.

Volailles
Grâce à sa lame pointue, le Deba permet de facilement désosser les volailles.

Viandes
Le Gyuto, le plus proche du couteau de chef, permet de trancher toutes sortes de viandes. Le Santoku s’avère lui très utilise pour débiter la viande en morceaux. Le Sujihiki avec sa lame effilée sert à découper les grosses pièces de viandes et à faire des tranches très fines (idéal pour les carpaccio).

Poissons
La chair fine du poisson nécessite des lames asymétriques. Le Deba (ou plus petit, le Kodeba) dont la lame est très pointue se glisse parfaitement le long des arêtes et permet de lever facilement les filets. Également pratique pour débiter la chair en morceaux. Le Yanagiba est particulièrement utile pour dépouiller les poissons et faire des tranches très fines (idéal pour les sashimi).

Vous mangez un peu de tout et ne possédez aucun bon couteau ? Optez pour le Santoku ou le Gyuto, car ce sont les plus polyvalents.

STYLE

Quitte à investir, je vous conseille un couteau dont le manche est en bois noble (comme le magnolia, l’ébène, le palissandre…) et la bague en haut du manche (la virole) en corne plutôt qu’en polypropylène. Au toucher, les finitions sont plus nettes.

Côté lame, il existe également des variantes. Celles aux motifs damassés ont été trempées des dizaines de fois dans des bains d’acier, ce qui donne une finition moirée à la lame. Inspirée des katana, c’est celles qui ont le plus de succès. Il y a aussi les martelées où chaque cratère symbolise le travail du forgeron qui a donné sa forme à la lame. J’adore celles de Yu Kurosaki, qui soit dit en passant est le plus jeune maître-forgeron jamais nommé.

Si vous le souhaitez, il est parfois possible de faire graver votre nom sur la lame de couteau. Personnellement je trouve ça un peu kitch…

PRISE EN MAIN

La forme du manche a également son importance, car manier le couteau doit être confortable. Il s’agit vraiment d’une question de préférence. Certains préfèreront les manches ronds, d’autres ceux à facettes ; certains préfèreront la balance d’une grosse lame alors que certains ne seront pas à l’aise au-delà de 20 centimètres. Un même type de couteau ne vous procurera jamais la même sensation d’un modèle à l’autre.

  MON CHOIX

J’ai opté pour un Gyuto à lame damassée 32 couches, manche rond en bois de rose et virole en corne noire. J’en suis extrêmement contente, mais dans les faits, il est un peu grand pour émincer de l’ail ou des oignons. Du coup, comme je tiens trop à mes doigts, je ne l’utilise pas en toutes circonstances. L’idéal serait d’avoir un Shotoh ou un Petty en complément, mais ce ne sont pas les plus répandus en magasin car les cuisiniers japonais préfèrent les grands couteaux. Partez du principe que vous aurez vraiment du choix dès 16 centimètres de lame.


ENTRETIEN

« Les chefs japonais pensent que leur âme intègre le couteau à force de l’utiliser. Vous ne mettriez quand même pas votre âme au lave-vaisselle ! » — Masaharu Morimoto, chef et participant de l’émission « Iron Chef »

Règle #1 – Nettoyez votre couteau immédiatement après usage, uniquement à l’eau et essuyez-le dans la foulée. Si vous ne l’essuyez pas bien et qu’un peu de rouille commence à apparaître, rien de dramatique : des gommes spéciales permettent de faire disparaitre ce type de tâches. Règle #2 – Les bons élèves achèteront un Saya (étui en bois) pour protéger la lame des chocs. Règle #3 – Les très bons élèves appliqueront régulièrement de l’huile de Camelia afin de protéger la lame de l’oxydation et nourrir le bois du manche. Conseil d’amie : n’utilisez pas votre couteau après l’avoir huilé ! Règle #4 – Il est important de ne pas attendre que la lame ne coupe plus pour vous en occuper. Si vous l’utilisez quotidiennement,  votre couteau méritera d’être remis en forme à raison d’une fois par mois. Traditionnellement, l’entretien se fait à la pierre et celle-ci doit être humidifiée avant utilisation. Comme en bricolage, il existe des grains différents qui seront plus ou moins abrasifs : pour un aiguisage de base, choisir un grain 1000 ; pour l’affûtage, un grain 3000 sera suffisant. Il existe maintenant des pierres doubles-faces pour éviter d’en acheter plusieurs. Comme elles sont plutôt lourdes, je vous conseille cependant de ne faire cet achat qu’une fois rentré au pays.


ADRESSES

  TAKEFU KNIFE VILLAGE
〒915-0031 Fukui Prefecture, Echizen, Yokawacho, 2 2 / Accès en bus depuis la gare

Si vous êtes motivé(e)s et de passage à Kanazawa, je vous conseille un détour par Takefu pour découvrir Takefu Knife Village, une coopérative créée par quelques-uns des plus talentueux forgerons du pays et reconnue par le gouvernement depuis 1979. Une passerelle permet de découvrir l’atelier vue d’en haut et de voir les artisans à l’œuvre ;  le rez-de-chaussée sert de boutique. Il est aussi possible de forger sa propre lame à condition d’avoir quelques heures devant soi (adultes uniquement). Ô joie, j’y ai même rencontré Shiro Kamo, le papa de mon couteau, qui revenait de sa pause déjeuner. On s’est serré la main, il m’a remercié pour mon achat. Un pur moment d’émotion. Sans transition : amie couturière, on y trouve aussi des coupes-fils de compétition.

  TOWER KNIVES OSAKA
〒556-0002 Osaka Prefecture, Osaka, Naniwa Ward, Ebisuhigashi, 1 Chome 4 1

La boutique n’est pas exceptionnelle par sa taille mais par la qualité de son service client. Un des vendeurs que j’ai rencontré a vécu quelques années en France et pourra vous expliquer les subtilités entre les différentes forges. Pour être sûr de le croiser (ce brave homme ne travaille pas tous les jours) prenez donc rendez-vous avec lui. L’autre est un Australien passionné de belles lames. C’est lui qui m’a convaincu de pousser jusqu’à Takefu Village. Il y a toujours quelques légumes en boutique pour tester les couteaux. Les vendeurs donnent de précieux conseils d’utilisation et ils sont loin de pousser à l’achat, ce qui est toujours agréable. Ils étaient même prêts à me mettre de côté certains couteaux et à les envoyer si besoin à la boutique de Tokyo (au Skytree) pour que je les récupère. Je me doute qu’ils ne liront jamais ces lignes, mais je les remercie encore de leur gentillesse.

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